L’oxydation chimique avancée couplée à la biodégradation des dioxines par des champignons telluriques saprotrophes

Rappel de la démarche

La bibliographie et l’évaluation de techniques existantes soulignent deux obstacles majeurs à l’efficacité des traitements biologiques par voie fongique (Juhasz & Naidu, 2000) : la faible biodisponibilité des Polluants Organiques Persistants (POP) et la difficulté d’amorcer l’oxydation de molécules aussi stables chimiquement.

Ces limites constituent les verrous technologiques à lever tant d’un point de vue fondamental pour avancer dans la compréhension des mécanismes de biodégradation mais également d’un point de vue appliqué pour stimuler le développement du marché des éco-biotechnologies appliquées aux sols.

Le projet de recherche a pour objectif de mettre au point une méthode innovante de réhabilitation des sols historiquement pollués (industriels et urbains) par des POP couplant une oxydation chimique douce pour initier l’ouverture des cycles aromatiques des polluants et une oxydation biologique par des champignons. Ce couplage de deux méthodes d’oxydation constitue l’originalité de cette recherche et pourrait permettre d’accélérer les procédés de dégradation des POP tout en préservant la structure et la biodiversité des sols, compartiment de l’environnement indispensable à préserver pour ses fonctions écosystémiques.

Des échantillons de sols contaminés par les PCDD/F sont dans un premier temps réalisés sur le site atelier de la ferme du Noir-Pot de la ville d’Halluin située dans le Nord. Du fait de l’intérêt d’utiliser des souches endogènes de sols historiquement contaminés pour le développement de méthodes de bioremédiation, nous réalisons d’abord des isolements de souches fongiques à partir de ces sols contaminés par les dioxines pour constituer une mycothèque de souches. Puis, nous évaluons, en milieu minéral, les capacités de ces souches à croître et à assimiler des molécules modèles ayant des propriétés communes aux dioxines. La troisième étape correspond à l’étude de la dégradation chimique et/ou biologique de l’OCDD en milieu minéral. Enfin, nous complexifions notre milieu expérimental en passant d’une étude de dégradation conduite en milieu minéral à une étude de dégradation réalisée en sol historiquement contaminé par les dioxines. Ces expériences sont conduites en microcosme de sol au laboratoire.

Cette recherche est mise en œuvre par Madame I. DELSARTE, Madame C. RAFIN et Monsieur E. VEIGNIE au sein de l’Equipe « Interactions Plantes Champignons – Remédiation (IPCR) » de l’Unité de Chimie Environnementale et Interactions sur le Vivant (UCEIV – EA 4492), Dunkerque, Université du Littoral Côte d’Opale.


Nous avons réalisé toutes les étapes énoncées dans le projet initial, en partant d’un sol historiquement contaminé en dioxines (sol de la ferme du Noir-Pot d’Halluin) nous permettant d’isoler des souches fongiques endogènes, puis à la conduite d’une étude de dégradation de l’OCDD au laboratoire en milieu minéral et enfin à une complexification des tests de dégradation via des études conduites en microcosmes de sols historiquement contaminés au laboratoire.


Principaux résultats

33 souches de champignons telluriques saprotrophes ont été isolées de ce sol.

28 d’entre elles ont été testées sur leur capacité à mobiliser un substrat hydrophobe: l’hexadécane.

Une étude bibliographique nous a permis de sélectionner des souches de la mycothèque de l’UCEIV (ULCO, Dunkerque) potentiellement intéressantes.

Nous avons déterminé des concentrations du réactif de Fenton biocompatibles avec la croissance des champignons, ce qui nous a permis de réaliser des tests de dégradation de l’OCDD (une dioxine modèle) en couplant une oxydation chimique avec une oxydation biologique en milieu minéral.

La mise au point d’une méthode de remédiation en sol par la production d’un inoculum fongique efficient pour la dégradation des dioxines s’est traduit par une baisse de 40 % de la toxicité des dioxines.

Ce que nous pouvons retenir :

Ce projet nous a permis d’avoir accès à un sol historiquement contaminé en dioxines (sol de la ferme du Noir-Pot d’Halluin) comme site expérimental. Cet accès nous a permis de diversifier notre palette de polluants organiques persistants étudiés, notre équipe de l’UCEIV (ULCO, Dunkerque) ayant déjà une expertise reconnue au niveau national et international en matière d’Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques et autres polluants (polluants émergents).

Conclusions scientifiques

Les isolements de champignons saprotrophes à partir de ce sol illustrent que ce sol héberge encore des microorganismes, malgré la présence de polluants de type dioxines. De plus, il existe une certaine biodiversité dans ce sol encore vivant.

Nous avons fait le choix d’utiliser comme critère de sélection des souches ainsi isolées l’hexadécane pour plusieurs raisons :

  • Cette molécule est commercialisée
  • Elle est peu coûteuse à la différence des dioxines
  • C’est un substrat hydrophobe donc si un champignon est capable de croître en sa présence, cela signifie qu’il est capable de mobiliser un substrat hydrophobe, condition sine qua non pour qu’une dégradation puisse se produire. Il est en effet connu que l’un des facteurs limitants à la biodégradation de polluants organiques hydrophobes est la biodisponibilité de ces polluants aux microorganismes.
  • Cette stratégie de criblage nous a semblé pertinente, réalisable au laboratoire à Dunkerque avec les moyens dont nous disposons et peu coûteuse.

Puis, nous avons réalisé une étude approfondie de la littérature disponible sur le sujet : « dégradation des dioxines par les champignons saprotrophes telluriques », nos modèles fongiques. Peu d’études sont disponibles soulignant l’intérêt d’approfondir une telle problématique aussi peu travaillée. Cependant, la faible occurrence de documents disponibles souligne sans doute aussi la difficulté de conduire des études de dégradation sur des molécules aussi récalcitrantes. Il n’y a pas pléthore de résultats.

Cette étude bibliographique nous a permis de sélectionner des souches de la mycothèque de l’UCEIV (ULCO, Dunkerque) potentiellement intéressantes.

Enfin, avant de conduire des essais au laboratoire en milieu minéral couplant une oxydation chimique avec une oxydation biologique, la détermination des concentrations d’oxydant Fenton biocompatibles avec la croissance des champignons a été une étape nécessaire de notre démarche. Ceci a permis de réaliser des tests de dégradation de l’OCDD (une dioxine modèle) en milieu minéral.

Le choix de l’OCDD a été fait pour plusieurs raisons, quasi identiques que précédemment :

  • Molécule commercialisée.
  • Molécule modèle des dioxines, hydrophobe.
  • Dosage rapide et réalisable au laboratoire à Dunkerque avec les moyens dont nous disposons.

Toutes ces étapes ayant été réalisées, nous pouvions enfin conduire des tests de dégradation dans le sol historiquement contaminé en dioxines (de la ferme du Noir-Pot d’Halluin) avec l’ensemble des paramètres préalablement sélectionnés : souche fongique, oxydant, dose d’oxydant, préparation de l’inoculum, dispositif expérimental.

Nous avons veillé à réaliser les tests avec un souci de faible coût économique, en utilisant des supports de croissance du champignon peu couteux, aisés à trouver, biodégradable et facilitant l’installation du champignon. Nous ne sommes allés chercher ni des procédés compliqués ni présentant un quelconque risque pour un usage en conditions réelles in situ. Tous ces critères ont réellement guidé notre réflexion. Les analyses de dioxines (très coûteuses) ont été réalisées en collaboration avec le LAS de l’INRA d’Arras, nous avions négocié et utilisé un pool d’environ 50 analyses. Nous avons eu ce souci permanent d’utiliser à bon escient et au moment opportun cette enveloppe budgétaire dédiée au volet analytique. La mise au point d’une méthode de remédiation en sol par la production d’un inoculum fongique efficient pour la dégradation des dioxines s’est traduit par une baisse de 40 % de la toxicité des dioxines en seulement deux mois d’incubation. Ces résultats nous semblent prometteurs et applicables à une échelle 1:1.

A ce stade du projet, il est évident qu’une complexification des microcosmes de sols au laboratoire devra être envisagée pour voir si le transfert à une échelle réelle se traduira par des résultats similaires. Ce transfert devra s’accompagner d’études écotoxicologiques avant le passage des essais in situ. Un partenariat entre structure de recherche et opérateurs de dépollution sera nécessaire car ce transfert requiert d’autres compétences.